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Présentation générale Le jeu vidéo est un phénomène industriel, culturel et social qui s’est imposé petit à petit depuis les années 1980. En France notamment, il constitue la principale industrie culturelle avec un chiffre d'affaires annuel de 3,6 milliards d’euros pour la seule édition de jeux et de 5,7 milliards en incluant la vente de matériel (SELL, 2025a). Le jeu vidéo touche une part majeure de la population : 73 % des Français·es de plus de dix ans ont joué aux jeux vidéo en 2025, dont 52 % quotidiennement (SELL, 2025b). La diffusion du jeu vidéo dans la société et de la société dans le jeu vidéo est profonde : « lentille culturelle » (Muriel et Crawford, 2018) agrégeant de nombreux phénomènes identitaires, politiques ou de consommation, le jeu vidéo est parfois vu comme la matrice controversée d’une sous-culture ou d’un champ à part entière (Shaw, 2010 ; Pitroso, 2024). C’est donc sans surprise que le jeu vidéo a donné lieu à de nombreux travaux en sciences sociales, en particulier depuis les années 2000 (Murray, 2023). C’est en sociologie, en sciences de l’éducation et en psychologie qu’il se diffuse prioritairement, autour de perspectives aussi variées que les cultures adolescentes, la ludopédagogie, l’immersion vidéoludique, l’addiction aux jeux, les communautés de joueur·ses. La créativité des chercheur·ses est stimulée par la diversité des points d’entrée qu’offre le jeu vidéo : études de cas, questionnaires et analyses de contenu côtoient de manière non exhaustive ethnographies participantes (Boldi et al., 2022), expériences virtuelles (Ducheneaut, 2010), collectes de données in situ (Van Dijk et Broekens, 2010). Si les sciences de gestion ont été attentives au phénomène des serious games (Jacobs & Statler, 2006) ou de la gamification, l’étude du jeu vidéo en tant que tel demeure encore marginale dans le champ. Pourtant, les sciences de gestion figurent certainement parmi les premières intéressées par les problématiques qui traversent le dixième art. Aussi, dans le cadre de cet appel à communications, nous voulons mettre en avant l’une d’entre elles en interrogeant le rapport entre jeu vidéo et travail. En effet, d’une part, la gamification (Hamari et Koivisto, 2015) des organisations traduit la porosité croissante entre jeu et travail : les mécanismes de récompense, de compétition ou encore de progression, caractéristiques du game design, se trouvent importés dans les dispositifs de gestion de la performance, ou de recrutement et de formation des salariés, au point de constituer une grammaire managériale (Jagoda, 2020). Le jeu n’y est plus une échappatoire au travail, mais un instrument de son gouvernement (Vesa et al., 2017). D’autre part, le jeu vidéo constitue un laboratoire du management, en ce qu’il permet au joueur d’expérimenter les logiques mêmes de la coordination, de la planification et du contrôle. Enfin, le médium vidéoludique opère comme un vecteur de représentations du travail, en mettant en scène les tensions entre créativité et productivité, autonomie et contrainte, jeu et labeur. En rejouant les imaginaires du management, les jeux vidéo contribuent ainsi à leur diffusion, à leur acceptation, mais aussi à leur mise à distance critique. Nous voyons émerger deux axes de réflexion à partir de ces enjeux au croisement du travail et du jeu vidéo. Le premier axe rassemble les questionnements sur le travail du jeu vidéo, c’est-à-dire qu’il renvoie à des mondes constitutifs des industries et des écosystèmes de la production vidéoludique mais externes à l’expérience du jeu vidéo en tant que tel. Le second axe concerne le travail dans le jeu vidéo : il s’intéresse à la manière dont les jeux représentent, rejouent ou détournent le travail, ses pratiques, ses logiques et ses imaginaires, à travers leur narration, leur gameplay et les expériences qu’ils proposent. Bien qu'ancrée dans les sciences de gestion, cette journée d’étude se veut ouverte à l’ensemble des approches en sciences sociales susceptibles d’éclairer la thématique proposée. Les contributions en sociologie, économie, sciences politiques, sciences de l’information et de la communication ou encore en philosophie sont donc les bienvenues. L’appel est ouvert à d’autres propositions académiques qui ne s'inscriraient pas explicitement dans les axes proposés mais résonneraient avec la thématique générale, à l’intersection entre management et jeu vidéo. L’objectif est à la fois de nourrir les recherches sur ce sujet et de participer à l’animation d’un réseau scientifique autour du jeu vidéo en sciences de gestion. La participation à la journée est gratuite, aucune participation financière ne sera demandée, mais l’inscription sur Scienceconf est obligatoire. Pour toute demande de renseignement, n’hésitez pas à nous écrire à l’adresse suivante : managementsimulator2k26@gmail.com.
Axe 1 : le travail du jeu vidéo En France, la filière du jeu vidéo émerge à partir de 1975 (Sidre, 2020). Elle s’est progressivement structurée autour de chaînes de valeur complexes, articulant les métiers de l’art, de la technologie et du divertissement et mobilisant une pluralité d’acteurs : studios, éditeurs, plateformes, constructeurs, prestataires techniques, communautés de joueur·ses, magazines, évènements mondiaux (Paris Games Week, ZEvent), etc. Ce secteur se caractérise entre autres par des formes managériales singulières, voire emblématiques, comme le crunch (Weststar et Dubois, 2023), par des modèles d’affaires spécifiques (Guesmi et Lemoine, 2017) ou encore par des enjeux importants en matière de gestion de l’innovation et de la créativité (Parmentier et Mangematin, 2009). Les stratégies marketing dans l’industrie s’y distinguent aussi, du fait des possibilités offertes par les supports et les expériences immersives de jeu (Dumazert, 2017), mais également d’une tension prégnante entre recherche d’engagement de la part des joueur·ses (Huang et al., 2019) et pratiques prédatrices de captation d’attention et d’argent (King et al., 2019). Les industries vidéoludiques ont connu plusieurs crises récentes, illustrées notamment par le cas d’Ubisoft : procès pour harcèlement, difficultés financières, licenciements de trois mille employé·es depuis 2022 (Gachet, 2025). Ces événements interrogent singulièrement sur la gouvernance de certaines entreprises du secteur, la régulation du travail et les transformations des rapports de pouvoir au sein des organisations vidéoludiques. Ils mettent notamment en lumière des problématiques d’inclusion et d’égalité dans des industries encore majoritairement masculines et largement irriguées de sexisme (Shaw, 2014) et de racisme (Derfoufi, 2021). Les communications pourront explorer l’ensemble de l’écosystème du jeu vidéo, de l’oligopole des distributeurs jusqu’aux mondes des créateur·rices de contenu et de l’e-sport, en passant par la galaxie des studios indépendants. Elles pourront s’interroger autant sur des phénomènes macro comme la question de la soutenabilité du modèle du jeu vidéo en tant que service (Dubois et Chalk, 2024), que micro comme l’intégration des nouvelles technologies dans les routines de travail (Lafrance St-Martin et Bonenfant, 2024). Parmi les pistes de recherche possibles, sans exclure d’autres interrogations :
Axe 2 : le travail dans le jeu vidéo Cet axe s’intéresse aux phénomènes, aux pratiques et aux représentations propres aux jeux vidéo eux-mêmes, en les envisageant comme des espaces où le travail est à la fois mimé, mis en scène et parfois détourné, à l’instar d’autres produits culturels (Rhodes et Westwood, 2007). Il s'agit d'explorer comment les jeux vidéo, à travers leur game design, leur narration, leur esthétique et les interactions qu'ils génèrent, peuvent être perçus comme des laboratoires, des extensions, des critiques ou des miroirs du travail. Le questionnement porte en particulier sur la manière dont les logiques managériales, les compétences professionnelles et les rapports sociaux liés au travail se manifestent au sein de l'expérience vidéoludique. D'une part, les jeux vidéo sont des vecteurs de représentations du travail, qu'il s'agisse de métiers spécifiques (Surgeon Simulator, Ace Attorney, Emergency, etc.), d’organisations (Two Point Hospital, Game Dev Tycoon, Zoo Tycoon, etc.) ou de la productivité elle-même (Factorio, Satisfactory, Cookie Clicker, etc.). Ces représentations, qu'elles soient fidèles, fantasmées, critiques ou parodiques, façonnent et diffusent des imaginaires. Dans cette perspective, les jeux de simulation économique ou de gestion, tels que Farming Simulator, Stardew Valley ou Supermarket Simulator peuvent offrir des cadres d'étude privilégiés. Le jeu vidéo pourra, en outre, être étudié à l’aune de réalités extérieures structurantes : incursion de marques dans les expériences vidéoludiques (Renault, 2022), promotion de jeux par des lobbys (Bergeret et Marbot, 2024), rapport des développeur·ses à l’univers représenté (ten Cate, 2023), etc. D'autre part, le travail peut être étudié au travers du gameplay lui-même. Premièrement, parce que certaines mécaniques de jeu, comme les objectifs, les systèmes de progression, de récompenses et de contraintes imposées aux joueurs peuvent être analysées comme des dispositifs qui modélisent des formes d'activité s'apparentant au travail (Lehoten et al., 2022). Deuxièmement, parce que les pratiques des joueur·ses, lorsqu'elles impliquent par exemple des tâches répétitives comme le grinding et le farming (Goggin, 2011), des compétences productives comme la gestion du temps (Reyes Uribe et González Flores, 2023), ou des formes de collaboration organisée (Mysirlaki et Paraskeva, 2019), révèlent également que le jeu peut devenir productif et interroger les frontières du travail. Alors que les avatars, les ressources et les biens virtuels se dotent d’une valeur financière (Vétel, 2018) ou émotionnelle (Watkins et Molesworth, 2012) parler de travail dans le jeu vidéo ne représente pas qu’une analogie heureuse, mais bien le moyen d’exprimer des enjeux critiques : exploitation (Cocq, 2019), précarité (Vétel, 2018), aliénation (Garite, 2003), écologie (Foureaux et Daum, 2025), etc. Parmi les pistes de recherche possibles, sans exclure d’autres interrogations :
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